Trois entreprises centenaires
Un texte de Jeanne Morazain
Paru dans le numéro Automne/Fall 2019
Publié le : 18 août 2019
Dernière mise à jour : 30 octobre 2020
Trois entreprises de Sutton ont atteint l’âge vénérable de cent ans : les Monuments Jenne dont les activités remontent à 1893, la ferme que la famille Larivière exploite depuis 1918 et le commerce de grains fondé en 1919 par Henri Després. Les Monuments Jenne Lucius McClarty a fondé à Sutton en 1893, au coin des rues…
Trois entreprises de Sutton ont atteint l’âge vénérable de cent ans : les Monuments Jenne dont les activités remontent à 1893, la ferme que la famille Larivière exploite depuis 1918 et le commerce de grains fondé en 1919 par Henri Després.
Les Monuments Jenne
Lucius McClarty a fondé à Sutton en 1893, au coin des rues Principale Sud et Western, l’entreprise L.L. McClarty, « Dealers in Monuments, Head Stones, Table Tops, Tablets, Mantels, etc. in All kinds of Foreign Marble and Granite », selon une publicité parue dans Sutton Souvenirs en 1899.
Lucius était tailleur de pierre comme son père William dont la présence à Sutton est attestée par le recensement agricole de 1852. Identifié comme stone mason, il possède 3 acres sur le chemin Alderbrooke au coin du chemin Robinson. Il est âgé de 31 ans, est né en Irlande et de religion méthodiste. Son épouse Fanny, née aux États-Unis, a 32 ans. Le couple a deux fils : Lucius, 5 ans, et David, 1 an. La famille habite une maison charpentée (frame house) de 1 ½ étage. Elle a été agrandie, mais est toujours debout.
La trace de William McClarty s’efface après 1852 puisqu’il est absent du recensement de Sutton de 1861. Nous le retrouvons à Dunham en 1871, remarié à Harriet Garfield avec laquelle il a un fils appelé Lucius. Il travaille toujours la pierre (marble cutter). Tout indique qu’il est allé aux États-Unis, a combattu durant la Guerre de Sécession qui lui a pris son fils Lucius, mort au combat à 19 ans. Sa première femme Fanny est aussi décédée.
En 1881, la famille est recensée à West Brome où William a installé son atelier de taille de pierres. Lucius a 12 ans. C’est lui qui en 1893 déménage l’entreprise à Sutton.
L’entreprise est rachetée en 1923 par Ernest Jenne et Henry Holmes. Ce dernier se retire éventuellement et Ernest Jenne poursuit avec son fils Paul, lequel hérite de l’entreprise en 1973. Paul Jenne n’a pas d’enfant, mais il peut compter sur Brian Bidwell qui, depuis 10 ans, a appris le métier en observant les Jenne travailler. En 1976, Paul Jenne lui offre de racheter l’entreprise. Il l’exploite toujours avec sa conjointe Liette Nadeau. Le couple a su diversifier sa production : les pierres naturelles de la région sont mises en valeur, divers objets décoratifs, pour les jardins notamment, sont créés sur demande. Ces mesures permettent aux Monuments Jenne de continuer à croître, selon eux : « Malgré tous les changements des dernières années, la charge de travail continue d’augmenter chaque année. »
La ferme Larivière
En 1918, Ambroise Larivière a quitté Saint-Ours où sa famille cultivait la terre depuis la fin du 17e siècle. Il était difficile d’avantager tous les fils à chaque nouvelle génération. D’où sa décision de chercher une ferme ailleurs. C’est à Sutton qu’il l’a trouvée.
Ambroise Larivière et sa femme Albina Chapdelaine ont jeté leur dévolu sur une ferme appartenant à Eugene Dyer, à la limite sud du village. Elle chevauche la rue Principale : du côté est, la terre s’étend de part et d’autre de la voie ferrée, jusqu’à la rue Mountain ; du côté ouest, un petit pont permet de franchir la rivière Sutton et d’atteindre les champs et pâturages situés de l’autre côté (au bout de l’actuel Domaine Gagné jusqu’au chemin Westwood). En tout, Ambroise dispose de quelque 300 acres qu’il destine à la production laitière.
À cette époque, les travaux des champs se font encore en grande partie à la main : les semences, les foins, la traite des vaches, la production de sirop d’érable, etc. Pour les labours, le cheval est un allié indispensable.
Ambroise meurt en 1946. Deux de ses fils, Louis-Philipe et Gaston, lui succèdent. Les deux frères seront les témoins d’une véritable révolution avec l’automatisation de l’agriculture. L’électrification des campagnes et l’arrivée du tracteur à la fin des années 1940 transforment les pratiques agricoles : allègement des tâches lourdes, accélération des travaux, introduction de la trayeuse automatique, amélioration des conditions de conservation du lait et des aliments.
Gaston meurt en 1968 laissant à Louis-Philippe la charge de la ferme. Au décès de ce dernier en 1984, la ferme est transférée à trois de ses fils : Gilles, Luc et Roland. Sous la gouverne de ce trio, la ferme prend de l’expansion. La superficie est portée à plus de 500 acres, grâce à diverses acquisitions le long de la route 139 ; le troupeau de vaches laitières passe de 30 à 50 têtes ; des silos sont construits, de même qu’une écurie pour l’élevage des chevaux.
Une quatrième génération de Larivière est maintenant à la barre. Leur ferme est l’une des dernières fermes laitières du Canton de Sutton qui en a déjà compté des centaines. Elles alimentaient autrefois de nombreuses crèmeries et fromageries. Les fermes se comptent aujourd’hui sur les doigts de la main. La ferme Larivière a résisté à l’urbanisation, malgré sa proximité avec le cœur villageois.
Le IGA de Sutton
Dès son arrivée à Sutton en 1919, Henri Després qui vient de Saint-Pie, achète un terrain, bâtit un moulin et un magasin et se lance dans le commerce des grains. Cette première entreprise évolue pour devenir un marché d’alimentation en libre service. Henri Després meurt subitement en 1960. Le règlement de sa succession se conclut lorsque Fernand Lusignan, le conjoint de sa fille Jeanne, rachète les parts des autres enfants d’Henri. Il faut dire que Fernand était déjà très actif dans l’entreprise.
Le commerce poursuit son évolution pour devenir une grande surface, d’abord de façon indépendante, puis sous les bannières Metro ou IGA. Le magasin construit par Henri Després est plusieurs fois rénové et agrandi. Devenue trop petite pour satisfaire aux exigences de superficie de la bannière IGA, l’entreprise déménage en 2006 de l’autre côté de la rue Principale.
Henri Després avait acquis plusieurs terrains adjacents pour y construire des entrepôts. Ceux-ci ont été remplacés par divers commerces le long de la voie ferrée ; ils logent aujourd’hui la pharmacie Brunet, qui a remplacé une quincaillerie Home Hardware, une manicuriste, une friperie, les services immobiliers Royal LePage et la Société des alcools.
Le long de la rue Western, l’ancienne ferme Després est occupée par le Foyer de Sutton depuis 1979 et par le parc culturel D’Art et de Rêves, aménagé au lendemain du décès de Jeanne Després en 2014. La maison qu’elle habitait a été démolie, mais la grange centenaire a été convertie en résidence et atelier d’artistes.
Après 100 ans, l’héritage d’Henri Després est toujours bien présent au cœur de Sutton, grâce à Fernand Lusignan et à son fils André, maintenant aux commandes. Tout indique que la relève est bien assurée et qu’elle continuera à relever le réel défi que représente le maintien d’un commerce de grande surface dans un village qui ne compte qu’environ 4 000 résidents permanents.
Jeanne Morazain, présidente d’Héritage Sutton