Nos relations avec la Chine
Un texte de Jeanne Morazain
Paru dans le numéro Été/Summer 2024
Publié le : 4 juin 2024
Dernière mise à jour : 4 juin 2024
La méfiance contre la Chine ne date pas d’aujourd’hui comme le montrent ces incidents survenus à Sutton il y a plus d’un siècle.
Y a -t-il des espions chinois parmi nous ? Y a-t-il eu ingérence de la Chine lors des élections fédérales ? Doit-on bannir les plateformes numériques chinoises comme Tik Tok ? Ces questions font régulièrement les manchettes. Or, la méfiance envers la Chine ne date pas d’aujourd’hui. Ces incidents survenus à Sutton il y a plus d’un siècle le démontrent bien.
En 1882, le Congrès américain a adopté le Chinese Exclusion Act. Celui-ci interdisait aux milliers de travailleurs chinois recrutés pour la construction des chemins de fer transcontinentaux de rester aux États-Unis, une fois les chantiers terminés. La discrimination s’exprimait au grand jour comme le montre cette caricature parue en 1882 dans le Frank Leslie’s Illustrated Newspaper.
Les Chinois qui demandaient néanmoins la citoyenneté étaient envoyés dans des centres de détention. Il y en avait d’ailleurs un sur la rue Powell à Richford. Certains tentaient de passer illégalement la frontière au lieu d’attendre en détention. Iboya Szabo Hancock raconte comment la famille de son mari a découvert des Chinois dans sa résidence d’Abercorn. « Ils louaient une maison près de la frontière. Ils avaient une petite fille de deux ans. Celle-ci a dû enlever une grille de plancher et elle est tombée sur des Chinois. Quelqu’un les avait fait passer en fraude . Comment ou quand, nous ne le savons pas, mais je me souviens que la grand-mère de mon mari m’a dit à quel point elle avait eu peur. » Elle nous parle aussi de ce marchand de pianos de Frelighsburg. Il faisait passer les Chinois dans la boîte des pianos qu’il vendait.
Difficile de mesurer l’ampleur de cette immigration illégale. Elle a parfois impliqué des passeurs sans scrupule selon l’ancien douanier André Bessette : « Un d’mes chums m’a rapporté que des Chinois étaient transportés par bateau sur le lac Champlain dans des barils. Lorsque les passeurs voyaient qu’ils étaient pour s’faire prendre, ils donnaient un coup de hache dans les barils et les jetaient à l’eau… »
Le Canada a adopté une loi d’exclusion similaire en 1923. Nancy Shepard-Douglas nous a confié que son père a eu comme emploi d’été, au milieu des années 1920, d’escorter par train, de Montréal à Vancouver, des étudiants chinois afin de s’assurer qu’ils rentraient en Chine après leurs études. Cette loi, écrit la Commission des lieux et monuments historiques du Canada, « perpétue le racisme généralisé et les politiques antichinoises qui sont de plus en plus présents au Canada depuis le XIXe siècle. Elle remplace la première Loi de l’immigration chinoise de 1885, qui imposait des taxes d’entrée (head taxes), entre autres mesures, pour décourager les immigrants chinois. » La loi a été abrogée en 1947.
Jeanne Morazain, membre du conseil administratif d’Héritage Sutton