RS pour « rendre service »

[PRINTEMPS 2017]

Par Denis Boulanger

 

L’odeur du papier et de l’encre me confirme que j’entre dans une imprimerie. L’espace est restreint, environ mille pieds carrés. Trois imposantes imprimantes sont en veilleuse dans la pièce principale où une modeste caisse enregistreuse est placée sur une table qui sert de comptoir d’accueil. Trois des murs comportent des tablettes garnies d’un inventaire de papiers de toutes les couleurs et de matériel informatique de tout acabit.

En plein cœur, un homme est assis devant un ordinateur. Il est entouré de notes, de manuels et de disquettes dont lui seul peut déterminer les usages. Il est au poste à cette adresse depuis 1993, mais son histoire est peu banale. Un accident en 1984 a contraint Bob Stowe à abandonner le travail qu’il exerçait à Farnham. Or, toujours jeune homme, il lui fallait gagner sa vie. Il a donc saisi l’occasion pour se lancer en affaires dans le domaine des transferts par sublimation sur des t-shirts, des tasses, des casquettes, etc. Loin de lui l’idée de devenir imprimeur jusqu’à ce que monsieur Tanner, un homme d’affaires de Cowansville, le lui propose en lui promettant l’exclusivité de tous ses mandats d’imprimerie. Il accepte l’aventure.

L’Imprimerie Robert Stowe (RS) était lancée en 1988 avec l’acquisition d’une presse recyclée et d’un cours d’une semaine sur l’impression offset. Imprimerie RS offrait l’impression de cartes professionnelles, d’entêtes de lettre, d’enveloppes et de feuillets promotionnels. Bob effectuait tout le travail de chambre noire et de graphisme. La croissance lui imposait d’autres investissements pour le pliage, le numérotage, la taille du papier, le boudinage, le perçage, l’agrafage, la plastification. Cependant, l’informatique révolutionnait le métier. En 1994, Bob achetait sa première imprimante deux couleurs (valeur de 40 000 $). Lors de ma visite, l’entreprise comportait trois photocopieuses et une imprimante numérique, une vaste sélection de papiers et du matériel informatique destiné à la vente au détail.

Bob est autodidacte. Il a appris l’informatique « sur le tas », du DOS jusqu’à l’utilisation des nombreux logiciels et du rouage interne du matériel informatique. Les nombreux manuels et logiciels sur cédéroms près de son ordinateur en attestent. Heureusement, parce qu’il est maintenant autant dans le domaine de l’informatique que de l’imprimerie. Les besoins d’impression régressent, Internet a changé la donne avec le courriel, les médias sociaux et une panoplie de logiciels faciles d’utilisation.

Au début, Imprimerie RS comptait 300 clients courants et Bob travaillait 16 heures par jour, sept jours par semaine. Un malaise cardiaque, en 2003, l’a contraint à réduire ses heures à une semaine normale de 40 heures. Bob considère la retraite à 71 ans afin de profiter un peu plus de la nature, de la chasse et de la pêche et aussi de plus de temps pour visiter ses filles à Toronto et à Vancouver. Il aimerait aussi voyager à Terre-Neuve, au Yukon et ailleurs au Canada.

Bob sait que l’aspect social de son commerce et le plaisir d’échanger avec la communauté vont lui manquer. Ses clients sont devenus des amis qui se demandent à qui ils auront recours maintenant que Bob est à la retraite. RS signifie pour eux rendre service. Comme pour cette dame qui s’est présentée pour une photocopie recto verso. La conversation et l’opération ont duré une vingtaine de minutes. « Combien je vous dois ? » « 28 cents… » Compte tenu du coût du papier, de l’encre, de la dépréciation, du temps accordé, il faut en convenir ; Bob rend service ! Puis, il y a eu cette dame qui l’a consulté simplement pour rétablir son mot de passe Facebook. Encore une vingtaine de minutes, sans frais, pour rendre service comme il l’a fait toutes ces années, au téléphone ou sur place, pour tant d’autres.

Je lui ai demandé s’il se souvenait d’anecdotes mémorables de ses années de service. Il y songe puis pouffe de rire. Il me raconte qu’un client l’a rappelé pour un conseil après avoir fait l’achat d’un ordinateur. Questionnée d’abord sur sa satisfaction, la personne lui a répondu que tout était parfait, puis ajoute : « mais, j’ai été surpris que l’ordi vînt équipé d’un porte-gobelet. » Bob comprit que l’homme avait pris le lecteur de CD pour un porte-gobelet !

Bob, sans toi, ton dévouement et tous tes conseils, il aurait été difficile de réaliser tant de documents importants pour le développement de la communauté comme le cahier de Brome Fair ou les Cahiers d’histoire d’Héritage Sutton, le bulletin municipal « Le Crieur public », l’affiche du Tour Flash et les nombreux feuillets publicitaires ou affiches nous informant des activités et évènements de Sutton et de ses environs.

Gratitude oblige ! Souhaitons que RS signifie dorénavant pour Bob une retraite sereine !

 

Note de la rédaction : Le bureau d’accueil touristique offre désormais, depuis la fermeture de l’imprimerie RS, un service de photocopies en noir et blanc et en couleurs.