Lyne Lapointe en trois temps et quatre yeux
Un texte de Arts Sutton
Paru dans le numéro Automne/Fall 2022
Publié le : 11 août 2022
Dernière mise à jour : 11 août 2022
Lyne Lapointe, l'artiste à la une cet automne, expose au centre d'art Arts Sutton jusqu'au 18 septembre 2022. À voir.
1987
Je me souviens comme si c’était hier de mon premier contact avec l’œuvre de Lyne Lapointe. Elle travaillait à ce moment-là avec Martha Fleming, l’autre moitié des Petites Filles aux allumettes, le duo artistique qu’elles formaient.
Elles avaient entrepris de faire revivre le théâtre Corona dans la Petite-Bourgogne qui, comme trop d’édifices anciens à Montréal, avait été abandonné. En attente d’une démolition, il servait d’entrepôt. Il s’agissait pour les deux artistes d’une tâche gigantesque à laquelle elles n’avaient pas eu peur de s’attaquer.
C’est par un petit jour de printemps gris, quand le soleil fait semblant de vouloir se montrer, que je suis entrée dans l’ancien théâtre. Comment vous décrire l’incroyable spectacle qui s’offrait à moi. En posant le pied dans ce grand bâtiment qu’elles avaient réveillé, il me semblait que l’odeur si caractéristique d’un théâtre était encore là, la pénombre pleine d’expectative bien présente, les fantômes de la Poune, de Juliette Pétrie voletaient quelque part. Je me retrouvais au début du siècle alors que l’architecture d’un théâtre se devait d’être grandiose, les moulures dorées, l’immense plancher de bois franc qui craquait sous mes pieds et puis le rideau de scène peint en trompe-l’œil que les artistes avaient lui aussi extirpé de son long sommeil. Non qu’elles avaient repeint les murs ou refait les moulures, non, elles les avaient simplement débarrassés du temps qui les recouvrait.
J’ai compris devant cette œuvre monumentale que le désir de créer ne suffit pas à transporter le spectateur hors de sa réalité. Il faut aspirer à quelque chose. L’élément-clé de l’aspiration est l’imagination, l’habileté à voyager au-delà de notre propre expérience et de voir le chemin des autres comme étant possiblement le nôtre.
Voilà le pouvoir de Lyne Lapointe, voilà ce qu’elle touche à travers son art.
Si on ouvrait sa tête on y trouverait un immense cabinet de curiosités. Son œil recherche et reconnaît le vécu, la beauté de toute chose. Entrez dans la galerie, ouvrez vos yeux, votre esprit, et laissez-vous prendre.
2010
J’ai en mémoire ce tableau d’au moins trois mètres de haut chez Pierre Bourgie . Ce dernier l’avait récupéré de l’installation réalisée par les deux artistes au théâtre Corona. Deux femmes acrobates, jambes et bras emmêlés, tournoyant avec grâce sur le dos d’un ours massif qui nous regarde droit dans les yeux. Un fragment de La Donna Delinquenta (1987).
Des années plus tard, j’ai su que Lyne vivait et travaillait désormais à Mansonville, non loin de chez moi.
En 2010, après la projection d’un touchant documentaire sur Pierre Falardeau, une bande d’amis dont je faisais partie, s’est retrouvée chez Lyne et sa compagne Nancy. La conversation était animée, la compagnie agréable. De la cuisine, nous apercevions au loin son espace de travail. Intriguée, j’ai demandé à le voir.
L’antichambre de l’atelier, flanquée de deux immenses cabinets de curiosités remplis d’objets tous plus intrigants les uns que les autres, a tout de suite attiré mon attention. Des crânes, des coquillages, des jouets anciens, des pierres semi-précieuses… Un musée en soi. En pénétrant dans l’atelier, j’ai éprouvé la même impression de foisonnement. Au sol, une enfilade de grandes plaques de verre peintes, posées verticalement. Représentant chacune un animal, évoquaient leur beauté, mais aussi leur fragilité. Appuyés au mur, des tableaux grand format, peints à l’huile sur du bois, et d’autres représentant des instruments de musique. Je me souviens de ceux piqués d’aiguilles d’acupuncture qui semblaient capter l’énergie du monde. Ma fascination grandissait à mesure que Lyne me guidait. Fascination pour son travail, mais surtout pour sa capacité d’inventer, de créer ce dont elle avait envie, de matérialiser son imagination.
2022
J’ai eu le sentiment ce soir-là de partager un moment privilégié et d’avoir vu des œuvres étonnantes. D’avoir été captivée par l’artiste qui les avait réalisées. De là sans doute est né, dix ans plus tard, l’idée d’un projet d’exposition, La femme enceinte. Vous pouvez admirer jusqu’au 18 septembre ses œuvres d’une grande beauté au centre d’art Arts Sutton : Femme-abeille, Femme-ours, Femme-loup, Femme-scarabée et plusieurs autres.
Dominique Parent, responsable des expositions
Andrée Pelletier, coordonnatrice