Un territoire partagé
Un texte de Anthoni Barbe
Paru dans le numéro Automne/Fall 2025
Publié le : 2 septembre 2025
Dernière mise à jour : 2 septembre 2025
La nature profite à tout le monde et trop souvent, elle n’est accessible qu’à ceux qui peuvent se la payer en achetant un terrain ou en payant des droits d’accès dès qu’on veut marcher sur une montagne.
À qui appartient la terre sur laquelle nous vivons ? À cette question, la plupart répondront sûrement : la terre appartient aux propriétaires des lots. D’autres, plus philosophes, pourraient rétorquer que la terre n’est qu’empruntée par chaque génération qui l’habite. D’autres pourraient aussi dire qu’il s’agit de la terre des Abénaquis.
Un héritage lourd de conséquences
En effet, le régime de propriété des terres dans les Cantons-de-l’Est s’est implanté avec le régime colonial britannique. L’Empire britannique a imposé des régimes similaires par conquête un peu partout sur la Terre et ils avaient la fâcheuse tendance à n’avoir que très peu de considération pour les populations présentes sur ces territoires.
Ici dans les Cantons, aucun traité n’a été signé avec les Abénaquis pour l’usage de ces terres et rien n’a été prévu dans le système légal pour qu’ils puissent accéder à ce qu’ils peuvent légitimement appeler leur territoire. Au contraire, la présence de leurs campements le long des rivières a souvent été vue comme une nuisance dans le passé.
Un territoire partagé par nature
Avant les Abénaquis, des écosystèmes complexes couvraient déjà le territoire et eux non plus n’ont pas beaucoup de poids dans le système légal actuel. Leur présence n’est encore que trop rarement reconnue. Même les lacs et les rivières sont difficiles d’accès malgré leur caractère public.
Il semble que notre système légal a oublié de prendre en compte que le territoire est toujours partagé et doit pouvoir en être ainsi. On ne peut pas changer le passé, mais cela ne veut pas dire qu’il faut vivre pour toujours avec les inégalités qu’il a engendrées.
L’exemple écossais
L’Écosse est un autre de ces endroits sur terre où le régime britannique n’a pas été particulièrement tendre avec la population locale dans les derniers siècles. Le résultat en était que l’Écosse quasiment au complet est détenue par quelques centaines de multimillionnaires (dont environ la moitié sont Anglais). Quand le peuple écossais a retrouvé une souveraineté toute relative au début des années 2000, il a décidé de corriger cette erreur historique.
L’Écosse a ainsi adopté une loi protégeant le droit de circuler sur le territoire (right to roam). Cela inclut le droit de séjourner pour de courtes périodes, sans véhicule motorisé et loin de la cour des maisons, sur tout le territoire national. Le tout vient avec un code d’éthique pour les usagers qui prévoit des sanctions sévères pour les contrevenants.
Un pas nécessaire
On parle beaucoup de réconciliation avec les autochtones, mais force est de constater que cela ne mène qu’à très peu d’actions concrètes. Il y a très longtemps, les Abénaquis ont accepté dans la paix de partager leur terre avec les colons de la Nouvelle-France. Il serait peut-être temps qu’on accepte à nouveau de partager la terre avec eux dans la paix.
Puis, pourquoi ne pas partager aussi la terre avec ceux qui n’ont pas les moyens de se la payer pour y avoir droit ? La nature profite à tout le monde et trop souvent, elle n’est accessible qu’à ceux qui peuvent se la payer en achetant un terrain ou en payant des droits d’accès dès qu’on veut marcher sur une montagne. Le droit de propriété est certes important, mais quand il est trop absolu, il limite aussi parfois l’épanouissement des communautés.
Pour combattre les inégalités héritées des institutions impérialistes des siècles passés, il y a des changements légaux à faire, mais aussi des mentalités à changer. N’hésitez pas à en parler avec vos représentants locaux, cela fait toujours des discussions très intéressantes et c’est comme ça que les mentalités évoluent.
Anthoni Barbe
Géographe, consultant en aménagement du territoire