La retraite de Rémi
Un texte de Michel Guibord
Paru dans le numéro Hiver/Winter 2017
Publié le : 20 novembre 2017
Dernière mise à jour : 3 novembre 2020
Tranche de vie racontée par Michel Guibord Rémi achevait d’empaqueter les effets de sa mère. Trois sacs verts de vieux vêtements, quatre boîtes de livres et vieux bibelots qui retrouveraient peut-être vie par l’entremise du comptoir paroissial. Il ne garderait que le collier de perles qui lui semblait d’une certaine valeur, mais qu’il n’avait jamais…
Tranche de vie racontée par Michel Guibord
Rémi achevait d’empaqueter les effets de sa mère. Trois sacs verts de vieux vêtements, quatre boîtes de livres et vieux bibelots qui retrouveraient peut-être vie par l’entremise du comptoir paroissial. Il ne garderait que le collier de perles qui lui semblait d’une certaine valeur, mais qu’il n’avait jamais vu au cou de sa mère. Le cœur gros, il s’empressait d’en finir et prévoyait de libérer l’appartement dans un peu moins de trois jours. Un brocanteur viendrait demain prendre les quelques meubles qu’elle possédait encore. Il ne resterait alors qu’à procéder au grand ménage.
Ça s’était fait très vite. Depuis 6 mois à peine qu’il était à la retraite, il avait pris l’habitude de visiter sa mère régulièrement, jamais moins de 4 fois la semaine. Par attachement bien sûr, mais aussi un peu pour occuper son temps. La retraite l’ayant laissé désemparé, il avait accueilli avec un certain empressement cette responsabilité nouvelle. Et il avait pu, au jour le jour, constater la rapide dégradation qu’avait connue sa vieille mère. « Sénilité, » avait diagnostiqué son médecin avant de l’hospitaliser, deux mois avant la fin.
Il n’avait trouvé aucun souvenir, ni lettre, ni journal, ni photo qui lui ferait connaître un peu mieux cette femme qu’il avait côtoyée de près sans jamais vraiment la connaître. Rien sur son père non plus. Ce père dont il ne portait pas le nom, dont il n’avait jamais rien su et dont sa mère refusait de parler. « Il est parti ton père, » c’est tout ce qu’elle trouvait à dire quand il risquait une question à son propos. Ce père resterait la grande tristesse de sa vie. Chaque jour, il avait ressenti son absence. Jamais il n’avait dit « papa » et jamais sa mère ne s’était émue de sa détresse. Elle ne s’était jamais départie de son mutisme, de son mystère. Il ne lui en gardait cependant aucune rancune, ayant compris très jeune que sa peine à lui ne se comparaît nullement à sa douleur à elle.
En quittant l’appartement, une pensée lui revint à l’esprit : « il faudrait me trouver un hobby ». Il descendait les trois marches qui donnaient sur le trottoir quand il remarqua le vieillard assis sur le banc du petit parc de l’autre côté de la rue. Il ne lui était pas tout à fait inconnu. Il l’avait vu souvent, toujours assis à la même place en biais avec la porte de l’appartement. Un voisin qui s’ennuyait sans doute. Mais aujourd’hui, le vieil homme lui faisait de grands signes en s’engageant dans sa direction. « Je suis ton père, » lui lança-t-il.
Rémi venait de trouver de quoi occuper sa retraite.