Retour à l’essence à Frelighsburg

Un texte de Geneviève Hébert

Paru dans le numéro

Publié le : 19 février 2018

Dernière mise à jour : 2 novembre 2020

 

Classé comme un des plus beaux villages du Québec, Frelighsburg vit principalement de pomiculture, d’agriculture, de viniculture et de tourisme. Comme tout petit village (Frelighsburg compte autour de 1100 habitants), la municipalité et les citoyens doivent faire preuve de créativité pour retenir les jeunes familles afin de garder leur école, leur épicerie, bref, leur dynamisme….

Billes de bois prêtes pour la coupe

Billes de bois prêtes pour le séchoir. Crédit photo: Charles Lussier

Classé comme un des plus beaux villages du Québec, Frelighsburg vit principalement de pomiculture, d’agriculture, de viniculture et de tourisme. Comme tout petit village (Frelighsburg compte autour de 1100 habitants), la municipalité et les citoyens doivent faire preuve de créativité pour retenir les jeunes familles afin de garder leur école, leur épicerie, bref, leur dynamisme.

En 2011, les frelighsbourgeois se sont mobilisés et ont formé l’organisme Vitalité Frelighsburg. Ce dernier a depuis initié et élaboré de nombreux projets dont Le Goût de Frelighsburg. Le projet consiste en un logo apposé sur les produits créés, façonnés ou transformés dans plus d’une trentaine d’entreprises du village. Une bonne idée lorsqu’on sait que plus de 7 consommateurs sur 10 estiment important de connaître la provenance des produits qu’ils achètent. Le projet Bois d’exception est né de cette même mouvance, il y a environ un an.

Comme le territoire de Frelighsburg est composé de plus de 70 % de forêts, le projet s’est présenté comme une évidence : mettre en commun les diverses ressources forestières locales afin de faire travailler les gens d’ici à mettre en valeur le bois d’ici. Depuis, plusieurs consultations publiques ont eu lieu. Le but ultime : créer un réseau entre les divers intervenants locaux intéressés : propriétaires de boisés, travailleurs forestiers et utilisateurs de bois d’exception, tels que les ébénistes, artisans et menuisiers.

« L’industrie forestière a déjà été florissante dans la région, » précise Charles Lussier, un géographe porteur du projet. « Au 19e siècle, l’industrie forestière y était importante. Frelighsburg a été surnommée Slab City vu la grande quantité de résidus de croûtes de sciages de billes de bois qui s’accumulait . Mais depuis environ 50 ans, le peu de bois qui sort des forêts d’ici se vend à prix de gros à l’extérieur de la région sans mise en valeur des billes d’exception. » Et pourtant, il ne manque pas de belles essences qui mériteraient d’être mises en valeur. Les scieries non plus ne manquent pas. « Mais à la scierie du coin, 90 % du bois provient de l’extérieur, notamment des États-Unis, » note Pierre Jobin, agronome également porteur du projet.

L’originalité du projet « Bois d’exception » tient au fait que tout se ferait en circuit court, à l’intérieur de 50 km : récolte, sciage, séchage, transformation et vente. Les installations sont déjà existantes. « Il existe déjà quelques personnes dans la région qui ont des scieries mobiles qui pourraient se rendre chez les proprios, » ajoute Jean Lévesque.

On comprend vite que l’idée n’est pas de faire de la coupe à outrance et d’exporter le bois. On mise sur le slow made qui a le vent en poupe : réhabiliter la valeur temps pour mieux produire, mieux travailler et mieux consommer. « Les billots sciés pourraient être séchés sur place ou dans un séchoir collectif, peu énergivore, non loin du lieu de coupe, » explique le maire. « Comme un pouce de bois prend environ un an pour sécher à l’air libre, il est économiquement impossible pour les grandes usines de se permettre ça. Mais quand le bois sèche lentement, ça change le résultat. Le bois ne se comporte pas de la même façon à l’humidité et sa couleur est plus naturelle. »

Planches de bois dans le séchoir

Planches de bois dans le séchoir. Crédit photo: Charles Lussier

Le bois de grande qualité issu du réseau pourrait donc être mis en valeur par une appellation certifiant la provenance, le processus de séchage, mais aussi les bonnes pratiques forestières, un peu comme la certification FSC, mais avec une traçabilité complète, vu le circuit court et local. On mise ainsi sur la plus-value et on garde les bénéfices dans la région.

L’idée est simple, mais la mise en œuvre du projet est complexe. On parle ici d’un projet à long terme. Il faut d’abord que le projet se définisse davantage. Puis, un cahier d’orientations identifiant les pratiques forestières à favoriser prend du temps à élaborer. « Mais on n’invente rien. Tout existe déjà, » note Pierre Jobin. Dans la dernière année, Vitalité Frelighsburg a d’ailleurs fait venir des experts en matière de foresterie durable, afin d’éduquer davantage leurs citoyens et les propriétaires de boisés. « Il est possible de prendre en compte les éléments fragiles de la biodiversité lorsqu’on fait de l’aménagement forestier. Il s’agit de bien planifier les interventions en forêt et d’assurer que la réalisation se fait avec soins, » indique Justin Manasc, ingénieur forestier et collaborateur au projet.

L’approche favorisée ici est assurément différente de ce qui se fait en foresterie à l’échelle du Québec. Par contre, ce modèle de gestion locale pourrait en inspirer plusieurs. « Nos forêts pourraient supporter plus d’emplois, » précise le maire. « C’est un projet collectif transférable aux futures générations. »

De plus, ce projet tombe à point, puisque le plan stratégique du Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) 2014-2018 a comme orientation d’assurer une gestion durable des forêts en mettant en valeur la forêt privée. Le projet a d’ailleurs déjà bénéficié d’une subvention du Programme d’aménagement durable des forêts (PADF) du MFFP.

Et jusqu’ici, la réponse des divers intervenants locaux dépasse les attentes et l’enthousiasme est palpable. Difficile de s’opposer à un projet qui se veut écologiquement, socialement et économiquement bénéfique pour tous les citoyens. Le projet, progressif et pérenne, pourrait atteindre son apogée dans une trentaine d’années. À court terme, il n’y aura pas de gros volume, mais certainement quelques billes d’exception mises en valeur annuellement.

Amateur de valeur sûre et d’achat local, gardez l’œil ouvert !

Pour plus d’information sur le projet, contactez Charles Lussier à c2lussier@gmail.com.