Je rêve d’humains qui écoutent
Un texte de Jonathan Harnois
Paru dans le numéro Hiver/Winter 2021-2022
Publié le : 22 novembre 2021
Dernière mise à jour : 30 novembre 2021
Deuxième poème inédit tiré des carnets de l’auteur Jonathan Harnois, qui planche ces temps-ci sur l’écriture de Je rêve d’humains qui écoutent, un essai poétique sur le pouvoir de l’écoute et les menaces qui la guettent.
Dans ses prochains numéros, Le Tour vous propose un florilège de réflexions et de poèmes inédits tirés des carnets de l’auteur Jonathan Harnois, qui planche ces temps-ci sur l’écriture de Je rêve d’humains qui écoutent, un essai poétique sur le pouvoir de l’écoute et les menaces qui la guettent.
Nos indicibles
Entre nous c’est vrai l’indicible gronde.
L’indicible là et ses tonnerres de non-dits, mais c’est pourtant d’eux que déboulent de larges pans de toi.
Ces tonnerres du dedans, ceux que j’entends quand je t’écoute, sans être capable de les rendre parfaitement intelligibles, sont aussi toi. Ils sont le murmure ombragé de ta vie. La cendre de ton feu, le cœur de tes creux. Ils sont ton envers solaire et ta densité nectarifère. Alors pourquoi ne voudrais-je pas les entendre ?
Si tu n’avais pas ces mondes, là, que je ne peux voir, si tu ne contenais pas ces mille recoins de mystère qu’aucun mot n’éclaire, qui serais-tu ? Ne serais-tu pas qu’à demi ? Et t’aimerais-je ?
Si nous rêvions de continuer, par le silence, par la poésie, à défricher nos indicibles, n’aurions-nous pas aussi parfois la sagesse de les laisser tel quel ? Ne serions-nous pas tentés de tendre simplement l’oreille au murmure de leur présence massive ?
L’incommunicable qui semble s’étendre entre nous n’est pas un désert, mais une forêt. Un méandre de feuillages propices et d’épines d’être où nous pourrions nous trouver se perdant, où nous déprendre du tourment de se comprendre à tout prix.
Par-delà se dire :
se respirer
se dérober
se risquer dans l’ombre
s’égratigner aveugles
s’énigmatiser
se dédeviner
s’élucider l’opaque
dans l’envol s’envoler plus haut
dans le creusement se creuser plus bas
que nos rampances verbales
pour éclore à nos nuits
de silences en épousailles
Tes indicibles me sont indispensables
Les miens te sont essentiels
C’est grâce à eux que tu es toi
que je suis moi
Par eux qu’on peut continuer d’espérer encore se dévorer les infinis
Dans nos indicibles, dans notre forêt réciproque, je ne veux jamais oublier que tu es aussi bruissements.
Shefford, le 8 octobre 2021