Le corps a ses histoires : perspective sur le Rolfing
Un texte de Marie-José Leclerc
Paru dans le numéro Automne/Fall 2015
Publié le : 15 août 2015
Dernière mise à jour : 31 octobre 2020
On me dit souvent : « J’ai entendu dire que le Rolfing décolle les fascias pour permettre un meilleur alignement postural ». Il est vrai que cette explication biomécanique est conforme aux prémisses du Rolfing : « Le principe qui soutient le Rolfing est que le corps en entier (les muscles, les ligaments, les tendons, les organes et les os) est revêtu d’une…
On me dit souvent : « J’ai entendu dire que le Rolfing décolle les fascias pour permettre un meilleur alignement postural ». Il est vrai que cette explication biomécanique est conforme aux prémisses du Rolfing :
« Le principe qui soutient le Rolfing est que le corps en entier (les muscles, les ligaments, les tendons, les organes et les os) est revêtu d’une mince enveloppe composée de tissus appelés fascia. Ce revêtement permet aux parties du corps de se déplacer et de glisser les unes par rapport aux autres, ce qui est extrêmement important pour tout mouvement. Les fascias exercent également une influence sur la longueur des muscles, des tendons et des ligaments. Dans l’ensemble, ils aident à définir la forme et la posture de notre corps. Ils compensent les blessures, le vieillissement ou les mauvaises habitudes de mouvement en se durcissant, en adhérant davantage, en se rétrécissant ou en diminuant leur élasticité afin d’aider à soutenir le corps. Même lorsqu’il ne s’agit que d’un léger traumatisme, les fascias peuvent se raidir et se remodeler puis surtout conserver ce nouvel état. De telles contractions créent un désalignement qui imprègne tout le corps, restreignant le mouvement, produisant un manque d’efficacité, de la douleur et une mauvaise posture.
Toutefois, les fascias contractés peuvent réagir à la pression et à la manipulation et redevenir souples, longs, et glisser à nouveau. Les rolfeurs appliquent ce concept quand ils rééquilibrent et réalignent la structure entière du corps dans le but de réduire le stress et d’obtenir des mouvements plus efficaces. » (http://www.rolfingcanada.org/fr/a_propos_du_rolfing.html)
Mais cette analyse s’inscrit à mon sens dans une perspective réductrice qui dépouille l’expérience du Rolfing de ses aspects les plus porteurs, les plus intrigants, les plus riches en mystère.
Jouons avec la notion que toute matière organisée possède une forme de conscience. Admettons que notre corps est doté d’intelligence. Que ces fameux fascias sont beaucoup plus que de simples membranes fibroélastiques enveloppant les structures anatomiques. Accordons-leur la capacité d’emmagasiner des histoires codées en langage de chair où tout devient signifiant : les textures musculaires, les mouvements réflexes, les amplitudes respiratoires, les tensions chroniques, etc. Tout a un sens.
On pourrait dire qu’un patron corporel (la façon dont une personne se tient et marche) est un scénario que porte le corps. Qu’au lieu d’être en réponse d’adaptation optimale aux contextes et aux exigences du moment présent, le corps a adopté une forme, une gestualité et des attitudes qui correspondent à des croyances et à des blessures, physiques ou psychiques, certaines étant liées au vécu personnel, d’autres faisant partie de l’héritage familial ou culturel. Cela est complexe, car il n’y a pas qu’une seule histoire, mais plusieurs, qui s’enchevêtrent et s’expriment simultanément, et parfois même se contredisent. Lorsqu’elles sont enracinées dans l’inconscient, comme c’est souvent le cas, elles échappent à toute logique et ne sont accessibles que par le biais de l’imaginaire.
Bien sûr, notre essence profonde et inaltérable s’exprime aussi à travers les caractéristiques de notre posture et de notre démarche. Mais dans le cas d’un patron corporel, les particularités sont ressenties comme des limitations qui engendrent éventuellement des problèmes liés aux déséquilibres structuraux qu’elles causent.
Vues sous cet angle, les manipulations des fascias sont beaucoup plus qu’une simple intervention mécanique de « décollage » des tissus. Par le toucher, alors qu’il délie et assouplit les fascias, le thérapeute en Rolfing entre littéralement en dialogue avec la chair de son client. Il l’apaise, l’invite à se détendre plus complètement, l’encourage à explorer de nouveaux états. Il utilise ses mains pour créer des ouvertures dans les tissus indifférenciés et denses, pour trouver les espaces de réceptivité qui permettront au corps d’être plus congruent avec lui-même, de s’activer plus efficacement et de mieux orchestrer ses mouvements; ceci afin de tendre vers un meilleur alignement postural et plus d’harmonie fonctionnelle, en réponse au moment présent.
À mesure que le travail progressera, certains thèmes émergeront peut-être sous forme de souvenirs, rêves, impressions ou émotions; ce qui donnera lieu à des prises de conscience importantes, alors que d’autres resteront enfouis dans les replis de l’inconscient. Dans les deux cas, les histoires auxquelles ils sont reliés n’auront plus la même emprise sur le corps, qui pourra alors fonctionner avec un meilleur alignement, plus d’efficacité et de liberté de mouvement.
Tout cela est mystérieux et pourtant bien réel; palpable, avec témoignages et résultats à l’appui. C’est pour moi ce qui confère à l’expérience du Rolfing sa pleine dimension et en fait une approche holistique si profondément enrichissante.