Tartine, pour les intimes…
Un texte de Antoine La Mothe
Paru dans le numéro Été/Summer 2018
Publié le : 4 juin 2018
Dernière mise à jour : 1 novembre 2020
[ÉTÉ 2018] Par Antoine La Mothe Quand on me demande ce qui fait le charme de Sutton, l’élément qui m’a convaincu de m’y installer malgré mes craintes d’ennui et de solitude (que j’imagine normales à tout citadin qui s’exile), j’ai l’habitude de répondre que c’est l’équilibre social étonnant qu’on y retrouve. Des opposés assez extrêmes…
[ÉTÉ 2018]
Par Antoine La Mothe
Quand on me demande ce qui fait le charme de Sutton, l’élément qui m’a convaincu de m’y installer malgré mes craintes d’ennui et de solitude (que j’imagine normales à tout citadin qui s’exile), j’ai l’habitude de répondre que c’est l’équilibre social étonnant qu’on y retrouve. Des opposés assez extrêmes y cohabitent, que ce soit au niveau politique, culturel, artistique ou culinaire. Ces opposés sont évidemment bien plus présents dans les grandes villes culturelles, mais je ne me laisserais pas convaincre qu’ils forment un microcosme aussi cohérent que dans une petite communauté où les gens se connaissent, et, inévitablement, s’entraident, se challengent, s’affrontent… parfois dans la même journée !
Je n’ai évidemment pas pu comprendre tout cela avant plusieurs années, mais j’ai pu en avoir l’intuition rapidement, car ma copine Charlotte a été embauchée au Tartin’izza dès notre arrivée au village.
Le Tartin’izza représente pour moi cet important équilibre. Tout y est éclectique : le staff dont on a parfois l’impression que le critère d’embauche est d’avoir le funk, les couleurs du restaurant qui changent continuellement sans jamais passer par le blanc, l’ambiance, qui, familiale vers cinq heures, ne l’est plus vraiment passé neuf heures, et plus du tout pendant les éphémères et magiques soirées du TartiClub.
Cet éclectisme cohérent se confirme aussi dans la clientèle. En proportion quasi égale de locaux et de touristes, de jeunes et de moins jeunes, d’anglophones et de francophones, tous sont accueillis de la même façon : avec humour et bonne pizza. J’y ai vu, à quelques pas de distance, des gens qui auraient pu, au dessert, se payer le restaurant… comme des gens qui comptaient leurs sous pour savoir s’ils pourraient se permettre une pointe de tarte maison (et, selon moi, c’est bien là la meilleure chose à faire avec ses derniers sous). Au bar, c’est du sport : on s’obstine avec un voisin sur les règlements municipaux, on jase avec les serveuses (par jaser, je veux dire potiner, évidemment), on essaie de compter les porte-clés et on se bat pour une bouteille d’huile piquante. Maintes fois, j’ai ouvert un journal à ce bar en espérant le lire, jamais je n’y suis arrivé. N’est-ce pas une chance que d’avoir dans un petit village un endroit si dynamique ?
Nancy Renaud mène les troupes de la petite pizzeria depuis maintenant 11 ans, et elle y est épaulée de David Chevalier en cuisine depuis 2011. Ils y sont chaque semaine, presque à chaque quart de travail, bon an mal an, bonne journée mauvaise journée. Chacun sait que la restauration est un métier ingrat, qui demande une dévotion constante, sans toutefois offrir les bénéfices tangibles de bien d’autres domaines. Ceux qui connaissent Nancy, David et leur équipe savent aussi que toute cette énergie dépensée l’est au nom de l’amour de l’autre, du partage, et, un peu, de la folie. Et ceux pour qui le Tartine reste à découvrir, la terrasse chauffée, un vendredi soir de juillet, avec un verre de rouge et une Estivale, est la parfaite porte d’entrée sur le pétulant microcosme qu’est le village de Sutton.