Le Vignoble du Ruisseau
Un texte de Pierre Pelland
Paru dans le numéro Printemps/Spring 2018
Publié le : 19 février 2018
Dernière mise à jour : 1 novembre 2020
Par Pierre Pelland et Noël Masseau L’aventure a commencé lorsque Normand Lamoureux, un développeur immobilier de la Rive-Sud de Montréal a commencé à envisager sa retraite. Amateur passionné de vins français, il proposa à sa fille qui terminait son cours de sommellerie à l’ITHQ de démarrer un vignoble dans les Cantons. Mais pas n’importe quel…
Par Pierre Pelland et Noël Masseau
L’aventure a commencé lorsque Normand Lamoureux, un développeur immobilier de la Rive-Sud de Montréal a commencé à envisager sa retraite. Amateur passionné de vins français, il proposa à sa fille qui terminait son cours de sommellerie à l’ITHQ de démarrer un vignoble dans les Cantons. Mais pas n’importe quel vignoble…
Première impression
Dès notre arrivée au domaine, la qualité apparente des infrastructures nous impressionne. Une passerelle couverte, qui mène aux très beaux bâtiments d’inspiration loyaliste, enjambe le ruisseau qui donne son nom au vignoble. Premier arrêt à la boutique. Les visiteurs sont accueillis où l’on retrouve les différents produits créés par la maison. L’on nous invite ensuite au bâtiment principal qui abrite la cuverie, visible en arrière d’une immense baie vitrée. S’enchaînent les différentes salles de dégustation et les chais voûtés où le vin vieillit en barriques bourguignonnes provenant d’une tonnellerie de Mercurey. Tout est de grande classe sans être ostentatoire.
Particularités
On ne peut parler du Vignoble du Ruisseau sans aborder sa caractéristique principale, la géothermie et la façon d’utiliser ce procédé. 15 km de tuyaux ont été enfouis à deux mètres de profondeur dans lesquels circule un mélange de glycol alimentaire et d’eau. À cette profondeur, la température est relativement constante et varie entre 5 à 7 degrés. Ce liquide, en période de froid, est ensuite recirculé dans des tubes situés de chaque côté des rangs de vigne. Pour conserver la chaleur, tous ces rangs sont recouverts d’une toile géothermique soutenue par des arceaux. À l’aide de pompes contrôlées par ordinateur, le glycol, plus chaud que l’air ambiant, maintient la température dans ces tunnels à un minimum de -10 degrés, ce que les vignes peuvent supporter sans problème. Cette approche permet de cultiver des cépages de type vinifera qui ne pourraient pour la plupart résister à notre climat : chardonnay, riesling, gewurztraminer, pinot noir, merlot et cabernet-sauvignon. Pour les cépages à vin rouge, deux tubes à glycol ont été enfouis à environ 35 cm de profondeur dans lesquels le glycol circule 3 semaines avant le début normal du cycle végétatif. Ceci permet d’anticiper l’éveil de la vigne et d’avoir des raisins plus tôt en leur procurant une plus longue saison pour un mûrissement idéal. De plus, ces vignes sont sous une serre dont les cotés s’ouvrent et se ferment mécaniquement, le tout contrôlé par ordinateur, afin d’y maintenir une température de +/- 28 degrés.
Autre aspect intéressant, le Vignoble du Ruisseau fait aussi cabane à sucre. Le sirop est utilisé à différentes fins, dont la production de deux « vins » d’érable. La saison commerciale des sucres dure environ deux mois durant lesquels le vignoble reçoit des visiteurs attirés par un menu haut de gamme, concocté par leur chef exécutif et sa brigade.
Dégustation
Pour couronner notre visite, nous avons eu l’occasion de déguster six produits du Vignoble du Ruisseau. Les premiers mots qui nous viennent à l’esprit pour les caractériser sont ; originalité et promesse de qualité.
D’abord l’originalité. Les deux premiers « vins » dégustés ne sont pas issus de jus de raisin fermenté, mais de la fermentation de sirop d’érable et d’eau. Surprise donc et… brin de scepticisme au départ. Un scepticisme qui fait rapidement place à l’étonnement.
Les deux vins, baptisés Vin d’érable et Bulle d’érable, un tranquille et un mousseux, ne sont ni sucrés ni lourds comme on aurait pu le craindre. Bien au contraire. Le premier présente un très agréable nez fruité frais évoquant les agrumes et une subtile note boisée. La bouche est à l’avenant, bien fraîche et assez persistante grâce à une touche sucrée amère en finale. On retrouve un parfum d’érable en rétro-olfaction. Quant au Bulle d’érable, un mousseux brut élaboré de manière traditionnelle, il nous réserve aussi une surprise. Encore ici, si ce n’est d’une finale très délicatement sucrée amère, on peut difficilement deviner qu’on a affaire à un produit de l’érable. La robe est d’un beau doré pâle, le nez, un peu discret, exhale des notes légèrement florales. La bouche est très fraîche, structurée, dotée de bulles moyennement fines. Un bon mousseux sans prétention, susceptible d’en étonner plus d’un.
Ont suivi dans l’ordre, trois vins issus du cépage chardonnay millésimé 2013, 2014 et 2015. Ici, l’expression « promesse de qualité » prend tout son sens. Nous avons affaire à des vins provenant de vignes extrêmement jeunes ; quatre, cinq et six ans, au potentiel encore à explorer. Les inconditionnels de ce cépage savent qu’il n’a pas de typicité en soi. Il peut être lourd, boisé à outrance, parfois sucrailleux, mais également, à l’opposé, délicat, d’une finesse extrême, presque lumineux selon ses origines et le traitement qu’on lui réserve. Les propriétaires du vignoble semblent avoir choisi cette dernière orientation et les trois millésimes dégustés en témoignent clairement.
Le Chardonnay 2013 est intéressant avec sa robe dorée pâle un peu évoluée, un nez à dominante de fruits tropicaux, ananas surtout, marqué par le bois. La bouche est plutôt ronde, pas très concentrée, fruitée, de longueur assez moyenne. Certainement prêt à boire et probablement à son meilleur actuellement.
Le 2014, un peu moins marqué par le bois, présente des caractéristiques assez semblables. Il est plus explosif au nez et semble posséder un certain potentiel de vieillissement.
Toutefois, c’est le Chardonnay 2015 qui ouvre de très belles perspectives. Favorisé par un millésime assez exceptionnel, il est nettement supérieur aux deux précédents sous tous les aspects. Le nez, un peu retenu, est bien franc et assez complexe : notes de poire (William ?), d’agrumes mûrs et de pain grillé. Il s’ouvre d’ailleurs progressivement. La bouche est remarquablement intéressante : fruitée, ronde, déjà complexe pour un vin aussi jeune. Très agréable à boire actuellement, mais avec un peu de patience, ce sera le bonheur pour les amateurs de vin et les proprios.
Enfin, dernier vin dégusté, l’enfant chéri des amateurs de vin rouge, le pinot noir 2014. Ce cépage « capricieux », courtisé partout, n’est pas facile à apprivoiser. Ce 2014 présente une robe rubis assez léger. En bouche, le fruit est discret, vaguement cassis. L’ensemble est léger, agréable. Cependant, comme diraient les vignerons bourguignons, il ne « pinote » pas encore vraiment. Il faudra que jeunesse se passe. Il sera intéressant de voir le 2015 et la suite.
Bien sûr, l’infrastructure du domaine, peu ordinaire, a un prix. Un chiffre de 15 000000 $ a été avancé par Sara Gaston et on compte encore. Le Vignoble du Ruisseau, à maturité, devrait produire environ 65 000 bouteilles, mais cela semble peu pour rentabiliser un tel investissement. On compte donc sur la vente de l’ensemble du côté technologique de la géothermie développé au vignoble, lequel procédé est en instance de brevet.
Pour plus d’informations, consultez le site, levignobleduruisseau.com.