Je rêve d’humains qui écoutent

Un texte de Jonathan Harnois

Paru dans le numéro

Publié le : 22 novembre 2021

Dernière mise à jour : 30 novembre 2021

 

Deuxième poème inédit tiré des carnets de l’auteur Jonathan Harnois, qui planche ces temps-ci sur l’écriture de Je rêve d’humains qui écoutent, un essai poétique sur le pouvoir de l’écoute et les menaces qui la guettent.

Jonathan Harnois écoute
Photo Mikaël Theimer

Dans ses prochains numéros, Le Tour vous propose un florilège de réflexions et de poèmes inédits tirés des carnets de l’auteur Jonathan Harnois, qui planche ces temps-ci sur l’écriture de Je rêve d’humains qui écoutent, un essai poétique sur le pouvoir de l’écoute et les menaces qui la guettent.

Nos indicibles

Entre nous c’est vrai l’indicible gronde.

L’indicible là et ses tonnerres de non-dits, mais c’est pourtant d’eux que déboulent de larges pans de toi.

Ces tonnerres du dedans, ceux que j’entends quand je t’écoute, sans être capable de les rendre parfaitement intelligibles, sont aussi toi. Ils sont le murmure ombragé de ta vie. La cendre de ton feu, le cœur de tes creux. Ils sont ton envers solaire et ta densité nectarifère. Alors pourquoi ne voudrais-je pas les entendre ?

Si tu n’avais pas ces mondes, là, que je ne peux voir, si tu ne contenais pas ces mille recoins de mystère qu’aucun mot n’éclaire, qui serais-tu ? Ne serais-tu pas qu’à demi ? Et t’aimerais-je ?

Si nous rêvions de continuer, par le silence, par la poésie, à défricher nos indicibles, n’aurions-nous pas aussi parfois la sagesse de les laisser tel quel ? Ne serions-nous pas tentés de tendre simplement l’oreille au murmure de leur présence massive ?

L’incommunicable qui semble s’étendre entre nous n’est pas un désert, mais une forêt. Un méandre de feuillages propices et d’épines d’être où nous pourrions nous trouver se perdant, où nous déprendre du tourment de se comprendre à tout prix.

Par-delà se dire :

se respirer

se dérober

se risquer dans l’ombre

s’égratigner aveugles

s’énigmatiser

se dédeviner

s’élucider l’opaque

dans l’envol s’envoler plus haut

dans le creusement se creuser plus bas

que nos rampances verbales

pour éclore à nos nuits

de silences en épousailles

Tes indicibles me sont indispensables

Les miens te sont essentiels

C’est grâce à eux que tu es toi

que je suis moi

Par eux qu’on peut continuer d’espérer encore se dévorer les infinis

Dans nos indicibles, dans notre forêt réciproque, je ne veux jamais oublier que tu es aussi bruissements.

Jonathan Harnois

Shefford, le 8 octobre 2021