L’affaire est dans le sac

Un texte de Daniel Laguitton

Paru dans le numéro

Publié le : 17 août 2019

Dernière mise à jour : 30 octobre 2020

 

Dans un rapport intitulé « Analyse du cycle de vie des sacs d’emplettes au Québec » publié en décembre 2017 et accessible sur le Web, le Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services, basé à l’École Polytechnique de Montréal, présente les résultats d’une étude réalisée pour la Société québécoise de…

sac

Dans un rapport intitulé « Analyse du cycle de vie des sacs d’emplettes au Québec » publié en décembre 2017 et accessible sur le Web, le Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services, basé à l’École Polytechnique de Montréal, présente les résultats d’une étude réalisée pour la Société québécoise de récupération et de recyclage (Recyc-Québec) afin d’évaluer et de comparer l’impact environnemental et les coûts associés au cycle de vie des différents types de sacs d’emplettes. L’étude visait aussi à mieux cerner les conséquences possibles d’un bannissement des sacs d’emplettes à usage unique en plastique mince et à explorer des alternatives optimales. Un sondage ayant montré que 87 % des Montréalais réutilisent leurs sacs plastiques pour remplacer les sacs à ordures et pour les déjections d’animaux domestiques, on doit en effet s’attendre à une très forte recrudescence de l’utilisation du sac-poubelle traditionnel dès que les sacs d’emplettes en plastique auront disparu.

Au fil des pages du rapport, le sac en plastique à usage unique est révélé comme une des « mauvaises bonnes idées » auxquelles nous a habitués l’ère industrielle qui ignore trop souvent le principe de précaution pour lui préférer l’excuse des bonnes intentions dont on sait pourtant quel chemin elles pavent.

L’étude comprend trois volets : une analyse de l’impact sur l’environnement de toutes les étapes du cycle de vie des sacs d’emplettes (production, distribution, utilisation et élimination contrôlée), une analyse des coûts associés à leur cycle de vie, et une analyse des conséquences probables d’un bannissement des sacs en plastique à usage unique s’appuyant sur une quinzaine de précédents au Canada et ailleurs dans le monde.

Huit types de sacs d’emplettes ont été évalués, répartis en 2 groupes : les sacs « jetables » (polyéthylène à haute et à basse densité mince ou épais, plastique oxodégradable, bioplastique compostable, papier kraft) et les sacs « réutilisables » (polypropylène [PP] tissé et non-tissé, coton). Ils sont notamment comparés pour leur impact sur la santé humaine, la production de gaz à effet de serre et l’utilisation d’énergies fossiles.

Quelle ne fut pas ma surprise de trouver le sac en plastique déclaré premier de classe et les sacs en papier et en coton classés derniers! Ce classement repose toutefois sur un grand « Si… »

Le sac d’emplettes en plastique bat donc « à plate couture » (même s’il n’en a pas) tous ses concurrents tant son empreinte environnementale théorique et son coût sont inférieurs à ceux des autres types de sacs. Loin d’être intuitives, ces conclusions bousculent bien des préjugés : « Pour les indicateurs Santé humaine, Qualité des écosystèmes et Utilisation des ressources fossiles, le sac de plastique conventionnel performe mieux que les autres sacs jetables étudiés. […] son cycle de vie nécessite peu de matière et d’énergie. De plus, sa réutilisation comme sac à ordures en fin de vie contribue significativement à diminuer ses impacts potentiels pour les trois indicateurs susmentionnés. Le sac de bioplastique fait d’amidon et de polyester, ainsi que celui de plastique épais ont, respectivement, 2 à 11 fois et 4 à 6 fois plus d’impacts potentiels que le sac conventionnel, selon l’indicateur et le scénario d’emplettes. Le sac de papier est soit le moins ou parmi les moins performants des sacs jetables avec 4 à 28 fois. »

Ces chiffres signifient qu’étant donné que le sac en papier a un impact environnemental de 4 à 28 fois supérieur à celui du sac en plastique à usage unique, il faudrait le réutiliser de 4 à 28 fois pour que son impact devienne équivalent, ce qui, compte tenu de sa fragilité, est pratiquement impossible.  

 

« Quant aux sacs réutilisables, pour les mêmes trois indicateurs, les sacs de type PP tissé et non-tissé ont un nombre équivalent d’utilisations de 16 à 98 et 11 à 59, respectivement […]. À titre d’exemple, dans un contexte de grosse emplette hebdomadaire au supermarché, il faudrait entre quatre mois et un an et demi afin que les impacts potentiels du cycle de vie du sac de PP tissé étudié soient équivalents à ceux d’un sac de plastique conventionnel, s’il est utilisé assidûment lors de chaque emplette. Quant au sac de coton étudié, il est de loin le moins performant avec un nombre équivalent d’utilisations allant de 100 à 3 657 fois… »

Gardons-nous toutefois d’introniser le sac en plastique au temple des bonnes idées, car les critères selon lesquels il « brille » dans ce rapport sont largement anthropocentriques. Quiconque tenterait d’inclure dans ces modèles un prix pour une baleine trouvée échouée avec des dizaines de sacs en plastique dans l’estomac, ou la corrélation négligée bien qu’évidente entre santé humaine et dégradation de la biosphère attribuable aux sacs en plastique verrait à coup sûr le premier de classe chanceler sur son podium.

C’est là qu’intervient le « Si… » mentionné plus haut : le sac en plastique constituerait un choix écologiquement responsable « Si » ses utilisateurs étaient eux-mêmes responsables et n’en faisaient un usage démesuré avant de l’abandonner dans la nature en si grand nombre. Selon les estimations conservatrices de Recyc-Québec, un milliard de sacs en plastique ont été utilisés au Québec en 2012 (soit 285 par ménage !) et 4,1 % de ces sacs ont été abandonnés dans l’environnement, soit… 41 millions de sacs ! À l’échelle mondiale, on estime à 5000 milliards le nombre de sacs en plastique utilisés chaque année, ce sont donc plusieurs milliards de sacs qui sont abandonnés chaque année dans la nature avec l’effet désastreux que l’on sait sur la faune terrestre aussi bien qu’océanique.

Le rapport se penche également sur les caractéristiques souhaitables d’un sac d’emplettes écologiquement optimal et reconnaît que le meilleur sac est toujours celui qu’on n’utilise pas.

On peut regretter que le mot « panier » n’apparaisse pas une seule fois dans ce rapport alors que nos marchés et commerces seraient tellement plus gracieux et respectueux de la Terre si nous les fréquentions avec, au bras, un panier tressé en fibres végétales.

Pour conclure sans tomber dans un nouvel intégrisme écologique qui accuserait le sac en plastique de tous les maux, il serait sage d’examiner, en quantité comme en qualité, ce que l’on met dedans ou dans ses substituts écologiquement corrects. Des fameux trois R (Réduire, Réutiliser, Recycler), le premier reste en effet la mesure la plus efficace pour combattre le désastre environnemental en cours.

Daniel Laguitton

Abercorn