Sutton, terre de liberté
Un texte de Jeanne Morazain
Paru dans le numéro Printemps/Spring 2021
Publié le : 13 mars 2021
Dernière mise à jour : 3 mars 2021
Le nom du chemin de Jerico rappelle que des esclaves noirs en fuite ont trouvé refuge dans le canton de Sutton au milieu du 19e siècle.
Avant de descendre la grande côte du chemin Scenic, vers Glen Sutton, on croise le chemin Judd, qui mène au chemin de Jerico. Ce nouveau chemin est parallèle à la frontière du Vermont. Plusieurs des propriétés qui le bordent touchent à cette frontière. Le nom de ce chemin a été officialisé par la Ville de Sutton et la Commission de toponymie du Québec en août 2001, à la suite d’une suggestion d’Héritage Sutton.
Pourquoi Jerico? Ce nom rappelle que des esclaves noirs en fuite ont trouvé refuge dans le canton de Sutton au milieu du 19e siècle. Sur une carte datant de 1865, un chemin menant d’East Richford à Sutton porte d’ailleurs ce nom. L’orthographe renvoie aux esclaves noirs. Dans leurs hymnes, ils avaient laissé tomber le « h » de la ville de Palestine appelée Jericho.
Avant la victoire des États fédérés du Nord contre les États confédérés du Sud, de nombreux esclaves noirs en fuite se sont réfugiés au Canada. À cause de l’adoption en 1850 du Fugitive Slave Act par les États-Unis. Cette loi autorisait les chasseurs d’esclaves à poursuivre et capturer des personnes réduites à l’esclavage dans des endroits où elles étaient pourtant libres aux yeux de la loi. Les tentatives d’enlèvement de fugitifs se sont multipliées, y compris au Canada. Ceci afin de renvoyer les esclaves à leurs maîtres dans les États du Sud et ainsi empocher une prime.
Plusieurs fugitifs ont emprunté ce qu’on appelait l’Underground Railroad. C’était un réseau clandestin d’assistance, composé de points de rencontre, de routes secrètes et de lieux d’accueil protégés. De 30 000 à 40 000 fugitifs l’auraient emprunté pour se réfugier au Canada, principalement en Ontario.
Plusieurs routes de ce réseau clandestin sillonnaient le Vermont. Elles conduisaient les fugitifs à la frontière avec l’aide active de nombreux bons samaritains vermontois. La route de l’ouest passait par Saint Albans, Berkshire, Enosburg, Montgomery, puis le Canada. La route de l’est menait à Albany et Troy. Une fois là, les esclaves en fuite traversaient la vallée de la Missisquoi. Ils se retrouvaient dans les cantons de Sutton ou de Potton. La carte de 1865 identifie une des portes d’entrée.
Dans un article du Township Week du 3 octobre 1980, à l’occasion du 200e anniversaire de la fondation de Richford, Merritt Clifton écrit : « …during the most active phase of the Abolitionist campaign against slavery, Richford and rival St.Albans serve as the last US stops along the « Underground Railway » (…) From Richford and St.Albans, they crossed into Canada at North Troy, Abercorn[1] Frelighsburg, Eccles Hill and Pigeon Hill. Eventually, Abercorn, Pigeon Hill and Bedford all contained substantial black communities. »
Grâce notamment au lieu-dit Nigger Rock et aux travaux de l’historien et anthropologue Roland Viau, la présence d’esclaves noirs en fuite dans les communautés de Bedford et Pigeon Hill a été documentée. À Sutton, avant l’ouverture du chemin de Jerico, seule la carte de 1865 attestait leur passage dans la région. Cette présence d’esclaves fut relativement brève. Après la guerre de Sécession et la défaite des États esclavagistes du Sud, la plupart sont retournés aux États-Unis.
Jeanne Morazain est présidente d’Héritage Sutton. Visitez le site entièrement bilingue de votre société d’histoire : heritagesutton.ca. Héritage Sutton publie deux fois l’an un cahier sur l’histoire de Sutton et des environs que vous pouvez vous procurer en ligne sur ce site. Autres points de vente : Le Cafetier, Farfelu, Nath’elle, la friperie On va s’aimer encore, ainsi que le Bureau d’information touristique de Sutton. Pour communiquer avec nous, envoyez un courriel à heritagesutton@gmail.com.
[1]. Alors un hameau du canton de Sutton.