Pigments d’arbre

Un texte de Annie Rouleau

Paru dans le numéro

Publié le : 13 novembre 2016

Dernière mise à jour : 31 octobre 2020

 

Au moment d’écrire ces lignes, les arbres ont revêtu leur panache d’automne. Les montagnes flamboient sous le soleil d’octobre et me font chavirer. Mon âme fait le plein de cette infinie beauté avant d’affronter l’hiver qui vient. Le magnifique est une excellente gazoline. Lorsque la chlorophylle se dégrade à l’automne, elle laisse place à tous…

Au moment d’écrire ces lignes, les arbres ont revêtu leur panache d’automne. Les montagnes flamboient sous le soleil d’octobre et me font chavirer. Mon âme fait le plein de cette infinie beauté avant d’affronter l’hiver qui vient. Le magnifique est une excellente gazoline.

Lorsque la chlorophylle se dégrade à l’automne, elle laisse place à tous ces autres pigments contenus dans les feuilles, molécules fort intéressantes d’un point de vue médicinal. Les jaunes des flavonoïdes, pigments quasi universels des végétaux. Les rouges, violets, bleus et leurs variantes sont, quant à eux, connus sous le nom d’anthocyanes. Ils ont tous une action sur le système vasculaire.

Dans certaines pensées philosophiques, l’hiver représente la nuit et, symboliquement, la mort ou, du moins, l’apparence de mort. L’eau, apparemment figée, qui coule néanmoins sous la glace, la mort d’une étape pour renaître à nouveau, le repos annuel. Il symbolise le bilan, le post-mortem de toute activité. Dans le cycle de la vie, l’hiver, c’est la vieillesse et son lot de défis. Or certaines feuilles, jaunies par la dégradation automnale de la chlorophylle, sont de merveilleuses alliées pour les vieux humains arrivés à l’hiver de leurs vies : les feuilles du ginkgo biloba, ce magnifique ancêtre, seul survivant d’un ordre ayant largement peuplé la terre jusqu’à la fin de l’ère tertiaire. C’est dire s’il connaît la vieillesse !

Une des molécules contenues dans le ginkgo, le ginkgolide B, inhibe le processus cellulaire complexe nommé PAF ou facteur d’activation plaquettaire. Celui-ci provoque diverses réactions physiques indésirables dans le corps comme la formation de caillots plaquettaires, entrainant une baisse du taux sanguin de plaquettes. Celles-ci aident le sang à coaguler. Le PAF est aussi impliqué, entre autres, dans des réactions inflammatoires et allergiques, il est un puissant vasodilatateur qui augmente la perméabilité vasculaire. Il augmente aussi la réactivité des bronches, phénomène responsable de troubles asthmatiques. Inhiber le facteur d’activation plaquettaire est donc souhaitable et l’extrait de ginkgo est reconnu pour remplir cette fonction, en plus d’être antioxydant. Il est, pour parler compliqué, vasorégulateur, donc à la fois vasodilatateur artériolaire, vasoconstricteur veineux et renforçateur de la résistance capillaire, ce qui pourrait se traduire par : il aide les vaisseaux sanguins et ce qui circule dedans. Le ginkgo augmente aussi la captation et l’utilisation du glucose et de l’oxygène par les cellules.

Tous ces mots savants parlent des maux suivants : mauvaise circulation et insuffisance artérielle dans les membres et dans le cerveau, fragilité et perméabilité des vaisseaux sanguins, prévention et récupération de thrombose, embolie cérébrale et crise cardiaque, anévrisme et j’en passe. Il aide aussi en cas de claudication intermittente, soit un engourdissement et des crampes douloureuses dans les jambes s’estompant après quelques instants de repos.

Revenons maintenant aux vieux jours des humains que nous sommes et à l’aide que le ginkgo offre alors. Par toutes ces actions sur les vaisseaux sanguins et par d’autres facteurs de chimie cellulaire, le ginkgo est utilisé pour diminuer l’impact de l’âge sur le corps : dégénérescence, sénescence, baisse de la mémoire, de l’acuité intellectuelle et de la concentration, maladie d’Alzheimer au stade précoce, acouphène, glaucome, dégénérescence maculaire. Pas mal, non ?

Matthew Wood, un herboriste que je tiens en haute estime, combine le ginkgo au romarin et à la bétoine (Stachys betonica ou Betonica officinalis), créant ainsi un heureux mélange tonique pour les personnes âgées. Je seconde.

Les très nombreuses recherches effectuées sur le ginkgo ont été faites à partir d’extraits standardisés en flavonoïdes et en ginkgolides des feuilles de l’arbre. Vous ne serez sans doute que peu surpris de savoir que son usage en Chine date de plusieurs milliers d’années. Il semblerait que les Chinois d’antan utilisaient le fruit, contenants pourtant une amande centrale au potentiel toxique relativement important. La cuisson détruirait la toxine. L’usage des feuilles est donc assez récent. On les récolte à l’automne lorsque le vert cède sa place au jaune. Elles peuvent être séchées et bues en infusion, ou transformées en teinture par une macération dans l’alcool. Certains disent que l’eau n’extrait pas les composantes médicinales du ginkgo, qu’il faut absolument prendre l’extrait standardisé. Ceci, comme d’habitude, me laisse perplexe. Comment se fait-il, si tel est le cas, que nos ancêtres, qui ne connaissaient pas encore l’extraction chimique de composantes spécifiques, l’utilisaient pour les mêmes vertus qu’aujourd’hui ou à peu près ? Je vous laisse faire vos choix.

Le ginkgo pousse très bien par chez nous. Il y en a même plusieurs dans nos villages. La seule chose déplaisante est l’odeur des ovules fécondés des ginkgos, communément appelés fruits. Les fleurs mâles et femelles se trouvant sur des arbres différents, on peut donc, dans une certaine mesure, compter sur les connaissances de son pépiniériste et ne sélectionner que des arbres d’un seul sexe, ou encore ne planter qu’un seul arbre pour éviter la fécondation. Les fruits peuvent aussi provoquer des réactions cutanées chez certaines personnes sensibles. Portez attention. Autre chose à éviter ; la prise de ginkgo en même temps que celle de médicaments anticoagulants ou fluidifiants sanguins.

Donc voilà pour ce petit aperçu de ce magnifique arbre de tous les âges, survivant de la glace et du temps. Je garde en mémoire les couleurs lumineuses de ses feuilles d’automne et plonge dans l’hiver à pieds joints, une infusion de ginkgo à la main.

Bien à vous,

Annie Rouleau

Herboriste praticienne

annieaire@gmail.com