Maryse Chartrand
Un texte de Andrée Pelletier
Paru dans le numéro Été/Summer 2024
Publié le : 4 juin 2024
Dernière mise à jour : 4 juin 2024
Lorsque le verre se transforme en quelque chose d’inattendu, Maryse Chartrand suit cette étincelle comme le prospecteur suit un filon d’or.
Nous avons fait l’entrevue dans une pièce au-dessus de son atelier. Elle était à contrejour, mais je remarquais quand même ses yeux gris profond comme les nuages derrière elle. Quoiqu’elle ait les pieds pleinement sur terre, il y a chez Maryse Chartrand quelque chose d’aérien, de fluide, comme la matière qu’elle travaille.
Elle préfère dire qu’elle fait de l’expérimentation et non de la création. Cela lui permet de se sentir complètement libre, de ne pas avoir d’attente, d’être vraiment à l’écoute de la matière. De ce fait, rien n’est raté, puisqu’elle expérimente. Lorsque le verre se transforme en quelque chose d’inattendu, elle suit cette étincelle comme le prospecteur suit un filon d’or.
Elle me parle de frite, de ballotte, de granulométrie, de vibrance, d’apesanteur, d’émerveillement, etc. J’ai l’impression de parler à une alchimiste. Qu’est-ce qui l’a attirée vers cette matière qui demande tant d’efforts physiques, d’expertise, d’équipement ? Cela a commencé le jour où elle s’est rendu compte, elle qui n’est pas collectionneuse, qu’elle avait accumulé plusieurs presse-papiers et parfumeuses, en verre. Curieuse, elle participe à un weekend d’initiation au verre et sa réaction fut : WOW !
Elle découvre une pratique exigeante qu’elle qualifie d’art extrême et tombe amoureuse de la matière ; sa transparence, sa fluidité, son mouvement, son imprévisibilité. Puis, une conversation avec son conjoint au sujet de rêves inassouvis donne le coup d’envoi. Être folle un peu, lui dit-elle, je ferais la formation de trois ans à l’Espace Verre. Son partenaire lui propose, la défie presque, de réaliser ce rêve.
Elle quitte alors son travail de rédactrice-conceptrice en publicité et pose sa candidature à l’école de Montréal. L’aventure commence. La difficulté de se retrouver sur « les bancs d’école », entourée de cégépiens habiles et intrépides, qui n’ont pas peur de l’expérimentation, fait que cent fois elle veut abandonner, mais cent fois elle retourne. Rapidement, ses œuvres sont prises par les galeries. De fil en aiguille, elle passe de la création de bougeoirs à des œuvres imposantes de 272 pièces sur une hauteur de quinze mètres, un concours d’art public qu’elle vient de remporter.
Toujours en quête d’émerveillement, elle expérimente avec les installations. Plusieurs éléments rassemblés provoquent une « expérience ». Elle dit souvent en riant : je fais des bols ! Mais ce qu’elle fait est bien plus que ça, évidemment. Elle considère que ses « bols » contribuent à apprivoiser le public toujours un peu timide quand on parle d’art et c’est à travers l’émerveillement qu’elle le fait. Elle crée un moment où tout s’arrête, où l’émotion prend le dessus.
Quand nous nous sommes rencontrées, elle ne savait plus où donner de la tête. Elle est de plus en plus en demande et doit organiser son temps comme un général. Interviewer Maryse Chartrand, c’est une expérience. Je suis sortie de son atelier complètement étourdie, comme si ma tête voulait rester dans cette grande pièce avec les nuages derrière, mais que mes pieds avançaient tant bien que mal vers ma voiture, complètement émerveillée…
Ne manquez pas d’aller faire l’expérience de ses œuvres, du 6 juin au 7 juillet, à la galerie Arts Sutton, ainsi que dans son atelier pendant le Tour des Arts, du 13 au 21 juillet.
Andrée Pelletier