L’oreille est une fleur

Un texte de Jonathan Harnois

Paru dans le numéro

Publié le : 25 août 2021

Dernière mise à jour : 2 septembre 2021

 

Dans ses prochains numéros, Le Tour vous propose un florilège de réflexions et de poèmes inédits tirés des carnets de l’auteur Jonathan Harnois, qui planche ces temps-ci sur l’écriture de Je rêve d’humains qui écoutent, un essai poétique sur le pouvoir de l’écoute et les menaces qui la guettent.

Dans ses prochains numéros, Le Tour vous propose un florilège de réflexions et de poèmes inédits tirés des carnets de l’auteur Jonathan Harnois, qui planche ces temps-ci sur l’écriture de Je rêve d’humains qui écoutent, un essai poétique sur le pouvoir de l’écoute et les menaces qui la guettent.

L’oreille est une fleur

oreille
Illustration Marie Bilodeau

L’oreille est une fleur

L’oreille est anémone

campanule et passerose

La science vous le dira

l’oreille c’est une orchidée de chair

dont la tige descend parmi les nerfs du cou

et va s’enraciner

dans le terreau vaste du cœur

L’oreille

comme toute fleur

est à son état naturel lorsque braquée vers la vie

Elle a le don d’accueillir

elle a

c’est inné

fonction d’accueillir

talent de se montrer en total accord avec les éléments

Le vent la réveille

la caresse

l’enchante ou l’épuise

Le soleil l’enchâsse d’ivresse

comme le souffle d’un amant

Les abeilles se parlent en son pollen

comme des camelots de l’azur

venus faire le plein de bonnes nouvelles

Allez voir dans les livres de biologie

c’est écrit

l’oreille est munie de pétales

étamines et pédoncules

Ne riez pas

car elle est aussi appareil reproducteur

alambic des essences sonores

l’instrument d’un flirt avec l’immensité

L’oreille est une fleur

vous le saviez

une fleur rusée

une fleur renarde au museau fin

capable de décarapacer les mots

capable de voler les œufs de l’oiseau des mots

de piéger la parole entre ses lobes griffus

pour se délecter d’un discours

ou lécher le pourtour insondable d’un poème

Tous les spécialistes vous le diront

l’oreille est une azalée osseuse

un asphodèle cartilagineux

Elle est le jasmin psychotrope

de nos jardins sonores

Elle pousse dans l’humidité d’une envie de musique

s’épanouit dans les marais

d’une poésie jurassique

Oreille grandeur

Oreille inflorescence

Oreille artisane de silence

Gardienne du pont de verre entre nous

par où transitent les nectars

de nos rêves d’amour fou

L’oreille est une fleur féline et rare

de nos jours plus rare encore

que le tigre d’Asie à robe blanche

Jonathan Harnois

Shefford, le 26 juillet 2021