Trouble-fêtes

Un texte de Annie Rouleau

Paru dans le numéro

Publié le : 15 mai 2015

Dernière mise à jour : 31 octobre 2020

 

La nature terrestre est merveilleuse, je le dis souvent dans ces pages. J’aime ses sautes d’humeur, ses contrastes, ses crescendos extraordinaires. Ses aubes pâles de printemps, ses envolées lyriques de poésie automnale. Mais surtout, surtout, j’aime l’été! Ses trente-cinq degrés à l’ombre, l’eau glacée des ruisseaux qui fouette le sang en plein soleil. Les lacs…

La renouée japonaise

La renouée japonaise

La nature terrestre est merveilleuse, je le dis souvent dans ces pages. J’aime ses sautes d’humeur, ses contrastes, ses crescendos extraordinaires. Ses aubes pâles de printemps, ses envolées lyriques de poésie automnale. Mais surtout, surtout, j’aime l’été! Ses trente-cinq degrés à l’ombre, l’eau glacée des ruisseaux qui fouette le sang en plein soleil. Les lacs noirs, les arbres, le sous-bois, les plantes. Quelle chance nous avons de vivre dans autant de beauté! Certains l’oublient souvent, malheureusement, saccageant des lieux précieux pour quelques poignées de dollars. Je trouve ainsi tout à fait jouissif de voir les humains aux prises avec une nature difficile et têtue, contrariant l’activité.

J’aime aussi observer les liens qu’elle suggère dans sa relation avec notre espèce. Comme l’attirance d’une personne envers une fleur particulière plutôt qu’une autre, ou la présence spontanée d’une plante dans l’entourage d’une personne plutôt qu’une autre. Il est amusant de constater combien ces attraits et proximités peuvent en dire long sur les besoins des gens.

Il y a plusieurs années, la région de Brossard était littéralement envahie de valériane. Cette longue plante de terres en friche, de rives et de lieux ouverts est une bonne amie des insomniaques et autres grands tendus ayant besoin d’un relaxant. Alors, je me suis dit que les habitants de Brossard avaient sans doute bien besoin de dormir!

Ou encore, cette dame qui affectionne tant les millions d’hydrangées qui poussent devant chez elle. Peut-être les chérit-elle à ce point parce qu’inconsciemment, elle sait qu’elle pourra les utiliser plus tard pour soigner la prostate de son homme! Amusant, je trouve!

Mais la plante de laquelle j’ai envie de vous parler ne propose pas de correspondance claire quant à la raison de sa présence, pourtant si intense et dérangeante. Je parle de la renouée du Japon, le Polygonum cuspidatum, ou Fallopia japonica. Celle-ci ne me fait aucunement rire; je la trouve même un peu effrayante parce que si efficacement envahissante. Tout de cette plante me laisse perplexe. Admirative, mais perplexe. Admirative devant son importance dans la pharmacopée mondiale, mais perplexe quant à son impact négatif sur les autres espèces végétales qu’elle extermine de sa simple présence, allant jusqu’à relâcher des toxines souterraines empêchant les autres plantes, arbres et arbustes de pousser à proximité. Les berges des ruisseaux en regorgent de plus en plus, comme nous le constatons tous. Par contre, tout de cette plante est incroyablement médicinal. J’y reviendrai dans un prochain texte, le sujet méritant beaucoup de mots.

Observons seulement son comportement. La renouée du Japon affectionne les sols humides et riches des bordures de cours d’eau, de même que les terres alluviales, donc nouvellement ou fréquemment perturbées, entre autres, par l’activité humaine. Sa présence sur les rives est particulièrement intéressante puisqu’en empêchant le peuplement par des espèces indigènes, qui elles assurent la fixation du sol, la renouée utilise l’érosion pour étendre sa colonisation. En effet, il suffit d’un tout petit bout de rhizome pour générer une nouvelle plante. Il est aisé de visualiser une crue printanière entraînant sur son passage des parcelles de berges jonchées de fragments de renouée, dévalant quelques kilomètres, semant ça et là de nouvelles colonies. Très efficace comme technique, ne trouvez-vous pas?

Mais que diable une telle invasion peut-elle servir? Les cours d’eau? Aucun intérêt de prime abord. Sauf peut-être leur élargissement, s’il est souhaitable, bien entendu. La faune non plus n’est pas gagnante, perdant les précieuses zones d’ombres produites par les arbres. Mais est-ce tout? Ces rhizomes, pouvant atteindre dix mètres de long et s’enfoncer jusqu’à trois mètres dans le sol, faisant partie de denses colonies monospécifiques ne sont-ils vraiment d’aucune utilité pour leur environnement? Honnêtement, je ne saurais répondre à cette question. Du moins, pas encore, mais elle m’intrigue, comme la présence de l’hydrangée ou celle de la valériane. Je dirais seulement que le comportement de la renouée du Japon n’est pas sans rappeler celui de nombreux humains. Nous avons donc un bel été de réflexion en perspective!

Entre temps, certains pays, notamment le nôtre, semblent sur la piste de techniques de lutte efficaces contre cette invasion, comme celle qui a recours à une solution saline injectée à cinquante centimètres dans le sol à proximité des plants coupés trois à quatre semaines après l’étêtage 1. Cette même coupe est essentielle à la fragilisation de la colonie.

Que faire des pousses coupées? Les cuisiner comme des asperges, pardi!

Après la coupe des jeunes pousses de renouée du Japon, pelez-les, mettez-les à cuire dans l’eau bouillante salée, ou vapeur, une vingtaine de minutes. Égouttez-les et nappez-les d’une vinaigrette à l’échalote ou d’une émulsion de fines herbes!

Nous en reparlerons.

Annie Rouleau

Herboriste praticienne

annieaire@gmail.com

http://desplantesdesetresdesmots.blogspot.ca/

1 Succès dans l’éradication de la renouée du japon, par Julien Poisson, 14 mars 2014, blogue, Conservation de la nature Canada (CNC)

http://www.natureconservancy.ca/en/blog/la-renoue-japonaise.html