Clos Saragnat 

Un texte de Laurence-Michèle Dufour

Paru dans le numéro

Publié le : 7 novembre 2024

Dernière mise à jour : 7 novembre 2024

 

2024 sera l'ultime saison de Christian Barthomeuf et sa conjointe Louise Dupuis au domaine Clos Saragnat qui a été mis en vente cette année.

Clos Saragnat 2024

J’ai eu la chance de découvrir les produits du Clos Saragnat il y a un peu plus de 20 ans lorsque le domaine en était à ses balbutiements. Alors qu’ils s’apprêtent aujourd’hui à mettre la clef dans la porte, Christian Barthomeuf et Louise Dupuis m’accueillent sur le site enchanteur de leur domaine, situé au pied du mont Pinacle, à Frelighsburg. Même si je connais leur travail depuis longtemps, c’est la première fois que je les rencontre. C’est qu’ils se font rares dans les salons de vin. La rumeur me les faisait même imaginer du genre reclus et peu bavards. Et pourtant.

Dernière saison

Christian et Louise ont gentiment accepté de me faire une petite place dans leur horaire chargé dans ce qui sera leur ultime saison. Le domaine Clos Saragnat est à vendre. Peut-être même sera-t-il déjà vendu au moment de lire ces lignes. « De toute façon, on arrive en fin de saison. On n’est pas pressés. On ferme la boutique dans quelques jours pour l’hiver. Pour relaxer, réfléchir, discuter et parler de la suite des choses ». Sous des airs faussement résilients, Christian précise qu’ils sont déjà en pourparlers avec une poignée d’intéressés.

Nous nous asseyons à l’extérieur, histoire de profiter des chauds rayons qui transpercent l’air frais. Le spectacle des montagnes, qui revêtent leurs plus beaux manteaux colorés, est à couper le souffle. Melon, le colosse bouvier des Flandres du couple, nous accompagne sagement.

Christian Barthomeuf, l’inventeur du cidre de glace

Cette année, le cidre de glace fête ses 35 ans. Avant de nous quitter pour aller ouvrir la boutique, Louise insiste : elle veut que l’on dirige les projecteurs sur le travail de Christian. Après tout, c’est lui qui en est le créateur. Outre l’invention du cidre de glace, on doit à ce visionnaire la fondation du premier et plus ancien vignoble encore en exploitation au Québec, le Domaine Côtes d’Ardoise, créé à Dunham en 1980. Dans une région qui aujourd’hui est réputée pour sa route des vins, l’homme laissera certainement une marque indélébile. « Quand il n’y a pas d’exemple, c’est difficile d’entrevoir un avenir, concède Louise, assurément fière de cet homme venu de loin pour semer autant de bonnes idées.

Celui qui se définit comme un pur Auvergnat est tombé amoureux de notre belle province il y a maintenant 50 ans. Alors qu’il étudie en cinéma à Montpellier, dans le sud de la France, Christian se retrouve mêlé à un groupe d’étudiants, majoritairement québécois. Porté par le vent, ainsi que par sa curiosité évidente, il profite d’un mois sabbatique pour venir visiter le Québec. Il n’est plus jamais reparti. De fil en aiguille, il se retrouvera à Dunham, où il renouera avec sa fibre paysanne.

Le Clos Saragnat

C’est après avoir travaillé à titre de consultant pour le Domaine Pinnacle et la Face cachée de la pomme, afin de commercialiser le cidre de glace, que Christian entame l’aventure du Clos Saragnat, en 2002. À cette terre qu’il a trouvée si accueillante, il a certes bien rendu depuis.

La culture biologique comme le couple l’entend n’est pas une mode, mais bien une évidence qui s’est imposée d’elle-même. Si Christian et Louise ont opté jadis pour des variétés plus résistantes aux maladies afin de ne pas avoir à les traiter, ils constateront au fil des années que même les pommes dites « à couteaux » (nommées aussi pommes de table, produites pour être mangées crues, par opposition aux pommes à cuire et aux pommes à cidre) ont naturellement cette résistance. « Sauf que quand vous commencez à leur mettre 75 fois des produits chimiques par année, elles deviennent accoutumées », se désole l’agriculteur. Selon lui, il faut d’abord observer la nature et apprendre d’elle.

Un legs indéniable

Ce qu’il promeut auprès des jeunes agriculteurs, c’est ce qu’il appelle la culture fondamentale . « Vous avez des pommiers, des poiriers, des pruniers qui sont plantés un peu partout, sans calcul, et ensuite on laisse pousser tout ce qui veut pousser. On cultive les pommes, on ne cultive pas les pommiers. On fait comme si on était dans la nature, on ne les taille pas, ils se démerdent et ils le font très bien », détaille-t-il dans son langage coloré, pendant notre visite du verger.

Il n’aura peut-être pas convaincu les plus sceptiques d’adopter leur genre de pratique, mais le legs qu’il laissera dans un monde de cidriculteurs et de vignerons en pleine effervescence est déjà palpable. Je questionne Christian sur ses plans de retraite. « Allez à la pêche, souffle-t-il en regardant son verger. C’est bien la pêche, tu médites, tu regardes, tu écoutes ».

Laurence Michèle Dufour