Le vignoble Côtes d’Ardoise

Un texte de Pierre Pelland

Paru dans le numéro

Publié le : 4 juin 2018

Dernière mise à jour : 1 novembre 2020

 

Par Pierre Pelland et Noël Masseau Un peu d’histoire… Plus vieux vignoble du Québec encore en opération, le vignoble Côtes d’Ardoise fut créé en 1980 par Christian Barthomeuf. Il fut planté sur le site d’une ferme maraîchère qui avait la réputation de récolter les premiers légumes de la saison et aussi les derniers. Ces résultats…

Par Pierre Pelland et Noël Masseau

La boutique du vignoble des Côtes d'Ardoise

La boutique du vignoble des Côtes d’Ardoise

Un peu d’histoire…

Plus vieux vignoble du Québec encore en opération, le vignoble Côtes d’Ardoise fut créé en 1980 par Christian Barthomeuf. Il fut planté sur le site d’une ferme maraîchère qui avait la réputation de récolter les premiers légumes de la saison et aussi les derniers. Ces résultats étaient dus à la présence de plusieurs éléments, à savoir : beaucoup de cailloux, de schiste et de l’ardoise à fleur de sol qui emmagasinent la chaleur le jour et la relâchent la nuit, coteaux orientés nord-est à l’abri des vents dominants ainsi que des boisés agissant comme pare-vent. Ce microclimat en faisait un endroit particulièrement bien adapté à la plantation d’un vignoble, car la vigne nécessite une quantité appréciable de chaleur pour livrer des raisins mûrs, ingrédients essentiels à la production d’un bon vin.

En 1984, le vignoble est vendu au Dr Jacques Papillon qui l’opère un peu comme passe-temps en marge de sa pratique médicale. Il y introduit un volet artistique maintenant devenu une caractéristique importante du vignoble. En effet, à la fin du printemps, des sculpteurs installent plus de 200 œuvres d’art sur la propriété et dans les sentiers le long des vignes pour en faire une magnifique exposition à ciel ouvert.

Barbara Jimenez Herrero, oenologue

Barbara Jimenez Herrero, oenologue

Les propriétaires actuels, Steve Ringuet, Julie Tassé, Marc Colpron et Ginette Martin l’achètent en 2010 et en 2011 posent un geste important, l’embauche de Mme Barbara Jimenez Herrero, fille d’un vigneron argentin de la région de Mendoza, comme oenologue. Selon elle, le plus beau legs de son père fut son sens de l’odorat. Depuis son plus jeune âge, son père lui faisait tout sentir et goûter : feuilles, fleurs, fruits, légumes, épices, etc. Après ses études universitaires en Argentine pour devenir ingénieure-agronome et œnologue, elle est engagée par Seagram qui la fait voyager dans toutes les Amériques avant de l’envoyer au Canada. Elle est actuellement présidente de l’Association Canadienne des Œnologues du Canada et Directrice Générale du Domaine des Côtes d’Ardoise.

La nouvelle approche

À son arrivée au vignoble, son premier défi fut une taille des vignes appropriée à chaque cépage au lieu d’une taille uniforme de tous les pieds de vigne. Les nouvelles tiges, celles dont les bourgeons d’automne vont donner les raisins de la prochaine saison, étaient toutes taillées après le 3e bourgeon alors que maintenant elles le sont selon le type végétatif de chaque cépage. Comme exemple, le Maréchal Foch, qui produit ses plus beaux raisins entre le 4e et le 8e bourgeon, est dorénavant taillé après le 8e. Auparavant, on ne récoltait donc qu’une infime partie de sa capacité de production. Le résultat fut appréciable, car après ces ajustements sur l’ensemble du vignoble, la production est passée de 17 000 litres à plus de 40 000 litres. 8000 nouvelles vignes furent plantées pour porter la production à 48 000 litres.

Inspirée par l’approche « bio » du vignoble paternel, Mme Jiménez Herrero supprima l’utilisation des insecticides et des herbicides. Elle travaille aussi avec des agronomes pour identifier le meilleur type de couvre sol à semer entre les rangs de vigne pour éviter l’érosion des sols dans les pentes fortes et utilise des toiles pour remplacer le buttage hivernal autrefois effectué.

Elle a également modifié la recette des assemblages pour permettre une meilleure expression des qualités de chacun des cépages. Par exemple, le Gamay qui était précédemment assemblé avec le Maréchal Foch, ce qui littéralement le tuait, est dorénavant assemblé avec le De Chaunac, plus fin, produisant ainsi un résultat beaucoup plus équilibré.

Le bâtonnage hebdomadaire, technique qui consiste à mettre en suspension les lies fines, est utilisé par Barbara pour obtenir le plein potentiel de saveurs et de goût. Les vinifications sont faites à fond pour transformer au maximum tout le sucre des raisins. Il en résulte donc des vins très secs sans le sucre résiduel qui pourrait maquiller le résultat final.

Parce que son approche donne des vins réducteurs, un peu fermés, Mme Jiménez Herrero conseille d’ouvrir les bouteilles au moins une heure avant la consommation ou, encore mieux, de les passer en carafe.

La dégustation des produits

Notre emballante rencontre avec Barbara Jimenez Herrero nous a évidemment donné l’occasion de déguster les vins et cidres du domaine qui sont vraiment ses « bébés », puisqu’ils sont le fruit de son travail tant dans la vigne qu’au chai.

Commençons par une remarque générale : Barbara est une farouche partisane des vins secs et francs, sans lourdeur, donc digestes à souhait, ce que l’on constate assez rapidement à la dégustation.

Le premier vin dégusté, La Marédoise, millésime 2016, issu principalement du cépage Seyval blanc, illustre à merveille la philosophie de l’œnologue. Il est tout en subtilité et fraîcheur avec ses 11,4 degrés d’alcool. Robe doré pâle, nez affirmé d’agrumes et effluve d’ananas, fruité que l’on retrouve en bouche, surtout les notes d’agrumes. Belle réussite, probablement le meilleur ambassadeur du domaine.

Le deuxième vin goûté, le Riesling 2016, est issu d’un assemblage de vins produits avec des vieilles vignes et des vins produits avec de vignes très jeunes, d’où son caractère végétal au nez (thym, garrigue) quelque peu surprenant plutôt que la touche « pétroleuse » habituelle, souvent associée à ce cépage. Note florale discrète. Encore ici, la fraîcheur et la droiture dominent. Une plus grande maturité de la vigne jeune apportera probablement plus de concentration.

Deux vins rouges ont suivi. Le premier, Haute-Combe 2015, à base majoritairement de Gamay (le cépage vedette du Beaujolais) présente une robe rubis assez pâle, un nez de fruits rouges à dominante cerise et de poivre rose. La bouche est fidèle au nez, tout en légèreté, nette et franche, mais peu charnue. Vin gouleyant pourrait-on dire.

Le second, le Côte d’Ardoise 2015, presque entièrement issu du cépage Maréchal Foch présente une robe plus soutenue, des arômes francs de fruits rouges, surtout de cassis et une discrète note boisée. En bouche, il se démarque du précédent par le caractère affirmé de son attaque, le fruit plus généreux et un bel équilibre malgré des tannins bien présents. Sans conteste, le plus costaud de la famille « côte-ardoisienne ».

Enfin, quelques mots sur les deux cidres du domaine, le CidrO2 et La Pomelière, des cidres qui titrent respectivement 7 et 8 degrés d’alcool. Le premier est un cidre pétillant et le second, un cidre de glace. Des contrastes absolus autant à la robe qu’au goût. Les deux peuvent plaire séparément, mais notre coup de cœur nous est venu de la proposition faite par notre hôtesse de procéder à un petit mariage : quelques gouttes du liquoreux dans le pétillant, et le tour était joué. Un genre de kir surprenant, inusité, que l’on peut doser selon son goût personnel, d’une impeccable fraîcheur. Une finale presque « royale ».